Hausse « préoccupante  » des violences contre les mosquées

9:14 - September 22, 2015
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Paris(IQNA)-Que faut-il voir derrière le « ras-le-bol » qui, fin avril, a soudain saisi Adrian P. et Florian. L, 19 ans, deux supporters sans histoire de l’Olympique lyonnais, au point de tenter d’incendier une mosquée turque de Mâcon avec du papier toilette et un bidon d’essence acheté l’après-midi chez Auchan ? S’agit-il d’un ultime soubresaut des attentats de janvier ? Ou l’indicateur d’un climat de tension envers les musulmans en voie de banalisation ?

Depuis les attaques de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, la répétition de ce type de faits divers tend à conforter la seconde hypothèse. Alors que doit avoir lieu, le 24 septembre, la fête de l’Aïd el-Kébir, la place Beauvau a comptabilisé plus de 50 actes contre des mosquées en France depuis le 1er janvier. Or, en 2014, seulement 27 actes antimusulmans, qui incluent le vandalisme contre les lieux de culte, avaient été recensés sur la même période. La plupart des attaques de mosquées ont été comptabilisées dans la foulée des attentats, mais des dégradations sont encore constatées chaque mois. Et moins que leur nombre, c’est leur « niveau de violence » qui est « nouveau » et « préoccupant », estime-t-on au ministère.
A Mérignac (Gironde), le 7 août, c’est un cocktail Molotov qui a été lancé. Un mois plus tôt, à Carpentras (Vaucluse), c’est une salle de prière à peine sortie de terre qui avait été visée. Un tir a transpercé une vitre du bâtiment. Par chance, il n’était pas encore ouvert au public.
Têtes ou morceaux de cochon
En 2013, seule une boucherie halal avait fait l’objet d’un tir de chevrotine. Depuis janvier, sept mosquées ont été la cible de coups de feu. Six ont par ailleurs subi un incendie ou une tentative d’incendie. Enfin, cinq ont fait l’objet d’autres types de dégradations (bris de vitre…), dix-huit de « graffitis insultants », et quatorze têtes ou morceaux de cochon ont été retrouvés à l’abord de mosquées.
Fini l’époque donc, où la virée haineuse d’Adrian P. et Florian L. – respectivement employé chez McDonald’s et ouvrier intérimaire chez Synergie – aurait fait figure de scénario exceptionnel. Le peu de prudence avec laquelle ils ont procédé a déconcerté les enquêteurs. Les deux amis rentraient de bal, ce soir-là. Aucun d’eux n’avait bu. Ils ont payé l’essence en carte bleue et emprunté la Citroën C1 de la mère de Florian. Puis ont mis le feu sans prendre la peine de cacher leur visage, avant d’observer leur méfait jusqu’à l’arrivée des premiers fidèles pour la prière du matin.
En mai, Adrian P. et Florian L. ont été condamné à six mois de prison ferme en comparution immédiate par le tribunal correctionnel de Macon. Mais leur cas est rare. Dans les dossiers de ce genre, faute de témoin et de trace ADN, les enquêtes se perdent souvent dans les limbes. Il n’y a qu’au Mans où, pour des faits de même gravité, un homme de 69 ans a pu être identifié. Le 8 janvier, il avait tiré avec un fusil 22 Long Rifle et lancé quatre grenades à plâtre contre une mosquée. Cet infirmier sans casier judiciaire a été condamné, le 25 février, à trois ans d’emprisonnement dont deux avec sursis.
Système de vidéosurveillance
Le Collectif contre l’islamophobie en France voit une négligence suspecte dans nombre d’affaires classées ou requalifiées. Les dégradations de mosquées – comme tous lieux de culte – sont toutefois des dossiers « signalés » où les parquets sont, en principe, incités à mettre des « moyens d’enquête ». La ministre de la justice, Christiane Taubira, a fait passer deux dépêches en ce sens depuis janvier.
A Aix-les-Bains (Savoie), pour une salle de prière très abîmée par un incendie, le procureur Thierry Dran est allé jusqu’à saisir la police judiciaire au lieu du simple service d’atteintes aux biens du commissariat. « Mais bien qu’on ait tout vérifié, tout regardé, on n’a pas le début d’un commencement de piste… », regrette-t-il.
A Mâcon, c’est la présence rare d’un système de vidéosurveillance sur la mosquée qui a permis aux enquêteurs de mettre la main sur Adrian P. et Florian L. « On ne sait jamais, ça pourra servir un jour », se souvient avoir expliqué à ses fidèles réticents, le président de l’association cultuelle, Ismaël Serin. Un équipement aujourd’hui encouragé par la Place Beauvau dans le cadre de « l’instance de dialogue » avec le culte musulman, lancée en juin. Neuf millions d’euros sur trois ans sont sur la table pour aider les lieux de culte – toute religion confondue – à s’équiper.
Exercice d’équilibriste
Les extraits de la vidéosurveillance se sont révélés accablants pour Adrian P. et Florian L. On les voit, détendus, s’y reprendre à deux reprises pour déclencher l’incendie. En passant la bande au ralenti, les fidèles ont même noté, effaré, Florian L. faire le signe de croix avant d’enflammer l’essence avec un briquet. Autant dire qu’à la prison de Varennes-le-Grand (Saône-et-Loire), ils étaient « attendus », relève Me Ramazan Ozturk, l’avocat de la mosquée, faisant allusion au fait que la majorité des détenus y sont musulmans.
Lors de leur garde à vue, Adrian P. et Florian L. ont justifié leur acte du fait de « tensions » avec la « communauté » musulmane. « Je vois beaucoup de personnes de cette communauté qui me causent des ennuis, et en général avec tout le monde », a assumé Adrian devant les enquêteurs. J’ai l’impression d’être victime de racisme de leur part. » Sur son téléphone, Florian avait un écran de veille avec un caneton jaune hurlant à d’autres canetons noirs : « Bougnouls ! ». Hasard des migrations : le premier est fils d’immigrés polonais, le second a une mère d’origine portugaise.
Face à ces violences, reste à trouver la réponse politique tout en évitant le piège des concurrences victimaires. Depuis ses débuts, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, multiplie les communiqués dénonçant, selon les cas, les « actes odieux » visant la communauté musulmane, les violences antisémites, ou les profanations de tombes catholiques. Un exercice d’équilibriste soigné jusque dans ses déplacements. Comme à Auch (Gers), le 28 août, où il s’est rendu après l’incendie d’origine indéterminée qui a ravagé une mosquée. Son cabinet s’est démené pour obtenir, le temps d’un discours, la présence des représentants de tous les cultes.
« Cet acte criminel ne vise pas les seuls fidèles musulmans (…). Il nous concerne tous, en tant que Français et en tant que républicains », a déclaré ce jour-là, M. Cazeneuve.
A Mâcon, la diaspora turque persiste à penser que la discrétion demeure sa meilleure protection. Avec son minaret, sa coupole bleue et ses 1 500 places, la mosquée est l’une des plus grandes de Saône-et-Loire. Mais elle reste recluse, sise au dos d’une cité HLM, cachée au bout d’une impasse entre une allée de hauts arbres et la voie de chemin de fer. Après l’incendie, une manifestation de soutien a été organisée à l’initiative de partis de gauche : le président de la mosquée a intimé l’ordre à ses fidèles de ne pas y participer.
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